Extrait

PERFORMER L’ESPACE

Partant d’un postulat plastique défini par les propriétés scientifiques des couleurs sur notre perception, Nathalie Junod Ponsard considère dès la phase de recherche d’un projet, le site et son contexte comme un tableau. Ces chromatiques retranscrites en longueurs d’ondes permettant à l’œil qui regarde de s’adapter petit- à petit à la couleur. Le lieu, pour ses qualités architecturales mais aussi son usage, sa fonctionnalité, devient le territoire de travail de l’artiste qui pense l’installation avant tout comme un dispositif réceptif. L’immersion des publics au cœur de l’abstraction construite transforme l’espace d’exposition comme un paysage ou environnement à habiter.

S’y rejouent différemment les grandes lignes écrites par la modernité :  l’interaction du mouvant (les corps, le temps) au statique (l’espace) ; la « méta-morphose »[1] du contenant par le contenu ; l’impermanence ; la dissolution de l’objet d’art et sa sortie du lieu d’exposition, en contrepoint à son usuelle marchandisation, dans l’héritage plastique des pratiques performatives, protocolaires ou du Land Art. Sa démarche fait se confondre le lieu et l’œuvre qu’elle y intègre, en un ensemble de deux entités liées – l’une ne s’imaginant plus sans l’autre (Lampes à souder les vagues magnétisées (1985). L’artiste use du matériau lumière comme d’un pinceau qui viendrait recouvrir autant que dévoiler l’espace et les formes qui l’occupent. Ainsi, à l’Espace Fondation EDF dans l’exposition L’épaisseur de la lumière (2013) la lumière rouge et bleue recouvrait autant que dévoilait les volumes dans un mouvement rotatoire, suivis par onze autres couples de lumière-couleur, ou encore pour Hommage à Rothko au musée Palazzo delle Esposizioni à Rome (2007). La lumière, immatérielle, source de vie, instrument de la visibilité, et les longueurs d’onde ou couleurs (du grec pharmakon, teinte qui imite le coloris des choses, mais aussi remède, filtre) deviennent des instruments de passage, offrant au regardeur les clés d’une perception nouvelle. Les œuvres sont le fruit des recherches de l’artiste, qui expérimente au moyen des longueurs d’onde les effets produits par la plasticité de la couleur et sa réception, tant physique (éblouissement, déséquilibre, vertige …) que mentale (réflexion, méditation …). La pratique de Nathalie Junod Ponsard révèle les environnements choisis et leur télescopage, plus ou moins organiques, avec notre existence. (…)

Cet extrait est tiré du texte général accompagnant la monographie ‘Nathalie Junod Ponsard, La lumière comme une seconde peau’. Editions Pyramyd, 2022


[1] Le mot est ici usité dans son sens premier, et dans son sens de mot-valise : le préfixe méta signifiant « au-delà », « au-dessus », (le métalangage, par exemple) mais aussi « à propos de cela même » (une exposition qui parle d’exposition) ; également dans le domaine du jeu de rôle, le terme désigne une action fondée sur des informations que le joueur possède, mais que son personnage n’est pas censé savoir.