Voyages luminescents, balades chromatiques, traversées hypnotiques… Sans visa ni scaphandre, l’œuvre de Nathalie Junod Ponsard nous transporte à des années-lumière de nos réalités, dans un univers où les données spatio-temporelles sont modifiées, où la gravité s’atténue et où le temps se distend. Une nouvelle atmosphère qui revisite le diagramme de chromaticité est en vue.
Avec la lumière pour véhicule quasi exclusif de ses œuvres in situ, Nathalie Junod Ponsard nous projette dans des expéditions spatio-temporelles dont les destinations sonnent comme de captivantes promesses. « Capsule Hypnotique », « Errance Verticale », « Horizon flottant »… et autres voyages sont au programme de cette œuvre atypique que l’on peut situer à la croisée de multiples courants. Colored Field Painting, Abstraction géométrique, Art Optique, Land Art, et Minimal s’y retrouvent en filigrane sans qu’on ne puisse néanmoins limiter ce travail à un courant passé ou présent. Car Nathalie Junod Ponsard a créé son propre langage artistique où espace, volumes géométriques, couleurs-lumières et mouvement se conjuguent à l’infini. Cette œuvre introspective, contemplative voire atmosphérique où les paysages intérieurs se mêlent aux mondes extérieurs, rayonne d’ailleurs internationalement. L’artiste a laissé sa trace dans de grandes villes dont Pékin, Hong Kong, Tanger, Rome, New York ou Los Angeles. Chaque fois ses œuvres modifient les perceptions de chacun, brouillent les perspectives des édifices, adoucissent les contours des objets, accentuent les volumes spatiaux et font vivre des expériences physiques. Les espaces se revêtent d’une nouvelle peau que l’on parcourt dans un état semi-conscient.
La lumière pour pinceau
Depuis ses débuts, à la fin des années 80, cette artiste ne cesse d’utiliser la lumière tel un pinceau, et n’hésite pas à se mesurer à des sites de grande échelle. Qu’ils soient prestigieux ou modestes, elle les révèle avec la même application en les présentant sous un jour nouveau. « Le soleil est mon seul projecteur », annonce-t-elle pour expliquer To Share The Landscape, une œuvre créée pour un Singapore Art Museum totalement immergé dans des champs de lumière. Que ce soit l’impressionnant site du Jantar Mantar à New Dehli en Inde, des immeubles de bureaux à Paris ou un espace polyvalent du Centre Pompidou, en intérieur comme en extérieur, lieu privé ou lieu public, c’est toujours d’une même énergie onirique que l’artiste entoure les lieux. Elle crée ainsi des ambiances inédites baignant dans une sorte de gaz ou d’éther. Un sfumato du XXIe siècle dont l’exécution, elle, ne laisse que peu de place au flou et au hasard. Tout est au contraire parfaitement maîtrisé. Par des calculs savants, une analyse de l’espace et une connaissance poussée de la physique et même de la biochimie, l’artiste met au point des programmes qui pourraient s’apparenter à des symphonies lumineuses. Celles-ci se mettent à danser sur les façades de différents immeubles. Ainsi, du crépuscule à l’aurore, Etendues Latérales (2011) laisse planer un permanent mystère sur la façade d’entrée de la Manufacture des Gobelins à Paris. Du magenta au vert, on est entraîné dans un éternel mouvement sensuel. D’autres édifices emplis de lumière de l’intérieur plongent aussi les espaces intérieurs dans une troublante atmosphère. C’est le cas de Paysage électrique au musée d’art contemporain d’Ekaterinbourg en Russie. Éclairées la nuit comme de précieux écrins visibles de loin, ces lumineuses sculptures monumentales redonnent une autre densité aux œuvres éventuelles qu’elles contiennent. L’espace est redessiné par les notes chromatiques qui se diffusent selon un protocole précis. Comme un chef d’orchestre, l’artiste fait intervenir projecteurs, leds, tubes fluorescents en harmonie. Tous répondent à un programme précis selon leurs emplacements. Parfois, des gélatines aux fenêtres filtrent la lumière naturelle. Car si l’espace donné est pris tel quel avec son architecture, ses accidents, ses tags éventuels et autres aspérités, s’il ne subit aucune transformation directe dans un grand minimalisme formel, c’est pour mieux révéler l’âme des lieux.
Variations chromatiques, vertiges visuels
Et on en fait l’expérience en arpentant ceux-ci comme en état d’hypnose. Car les ondes lumineuses, leurs variations d’intensité, ainsi que leurs effets sur nos humeurs et émotions, n’ont aucun secret pour l’artiste. Certaines couleurs apaisent voire endorment, d’autres réactivent les sens, entraînent à l’action, bref influent sur le comportement. Nathalie Junod Ponsard crée de nouveaux états de conscience modifiés. C’est ainsi qu’à la Piscine de Pontoise pour la première « Nuit Blanche » à Paris en 2002, elle baigne les lieux d’une lumière rouge euphorisante, alors qu’en hauteur, une lumière verte ponctue l’effort des nageurs comme une respiration. Même principe dans une patinoire de Montréal en 2012 qui, elle, est balayée par une relaxante variation chromatique allant de l’indigo au violet profond. En 2005, au Bauhaus, c’est un vertige visuel qui est créé par la rotation de deux masses lumineuses et complémentaires. A Paris, au Musée de la chasse et de la nature en 2018, une nouvelle union de couleurs complémentaires influe cette fois sur des plantes, accélérant ainsi leur croissance. Quant aux gisants de la monumentale basilique de Saint-Denis en 2014, par le biais de simples lignes qui palpitent en passant du pourpre à l’indigo et vont du front jusqu’aux talons, ils semblent tout simplement s’animer voire s’incarner sous le regard des visiteurs. Au Palais Farnèse à Rome en 2007, c’est toute une mosaïque composée de chevaux et d’acrobates qui semble se mettre en mouvement sous l’effet des vibrations pourpres programmées par l’artiste, alors que juste au-dessus, les visiteurs évoluent comme en apesanteur, submergés d’un halo vert mouvant. Avec Horizon flottant, œuvre pérenne du MACRO à Rome, un ensemble de vingt-deux lignes de deux couleurs différentes montent ou descendent sur le mur d’un escalier de 14 mètres et collent le vertige aux passants. Quant aux données temporelles, elles se mettent elles aussi à flotter, jusqu’à ralentir ou se déployer. C’est le cas en 2015 avec l’installation du musée Luxelakes à Chengdu en Chine, dans lequel l’espace se déplie comme un origami ou une pierre taillée sous l’emprise des projecteurs au sol.
Jusqu’à l’Élysée
On pourrait s’imaginer que malgré une économie de moyens, l’œuvre de Nathalie Junod Ponsard déploie bien trop d’énergie électrique à une époque où l’on sait nos ressources naturelles limitées. Mais consciente de son environnement, loin de toute gabegie, l’artiste veille depuis le début, à utiliser des matériaux qui consomment peu voire pas du tout. L’une de ces dernières installations à Paris en est un parfait exemple. A deux pas de la Gare Saint-Lazare, Place de l’Europe-Simone Veil, le rond-point est paré d’un collier de trente-six mètres de diamètre. Précieuse Brillance scintille de mille feux sans un brin d’électricité. Elle met en action des billes de verre contenues dans une série de disques photosensibles. Les vibrants sequins sont modulés par tout l’environnement. A la lumière naturelle s’ajoute la luminosité des lampadaires, des feux de signalisation, des phares des voitures ou de trains. On peut admirer cette œuvre pérenne comme quelques autres à Paris ou ailleurs comme sur la façade de la manufacture des Gobelins à Paris ou dans la fontaine de la place André Malraux (jusqu’en 2020) proche du ministère de la Culture.
Alors qu’en 2011, elle avait créé pour le Mobilier National, «Orientation Spatiale Paradoxale », une œuvre-tapis qui semble autogénérer de la lumière, celle-ci a été choisie en 2018 pour le Salon Murat du Palais de L’Élysée. Quelques années plus tard, c’est « Mirage », une création dans le même esprit qui voit le jour à la Manufacture de la Savonnerie à Lodève. Au même moment, dans une année 2021 riches en commandes prestigieuses, et toujours pour le Mobilier national, l’artiste inaugure « Odyssée », une nouvelle œuvre de 73m2 créée in situ pour l’escalier d’honneur du Palais de l’Elysée. Cet escalier en trois volées réunies par un palier médian se déroule littéralement sous le pas des visiteurs, délivrant à chaque marche sa charge énergétique dans un imperceptible dégradé chromatique. Une vibrante traversée spatiale pour une artiste jamais à cours d’énergie.
Critique d’art et commissaire d’exposition, Anaïd Demir écrit pour des catalogues d’art et a contribué à de nombreux média (Le Journal des Arts, Art Newspaper, Beaux-Arts Magazine, Photo, L’Officiel Art, Nova Radio, Direct 8…). Elle est auteur de récits ancrés dans le champ de l’art comme Le dernier jour de Jean-Michel Basquiat (2010, Anabet), Joconde intime (Léo Scheer-Laureli, 2011) ou sa série Conversations post-mortem qui met en scène des personnages d’outre-tombe. Son ouvrage historique L’entrée des femmes à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris ainsi que son roman Maison-mère (Editions Plon) paraissent au cours de l’année 2022. Elle dirige par ailleurs un séminaire d’histoire de l’art ainsi qu’un atelier d’écriture à l’IESA – Arts & Culture à Paris.