Damien Schoëvaërt-Brossault
Maître de conférences Université Paris-Sud
Biologiste

Nathalie Junod Ponsard nous invite à la rejoindre dans l’épaisseur de la lumière, ce qui est déjà en soi une expérience peu banale quand on sait que la couleur est à l’ordinaire une expérience de surface. Ainsi, il nous est habituel d’interpréter comme couleurs les altérations de la lumière obtenues par absorption, diffusion, réflexion sur les facettes des objets éclairés. Et c’est justement par cette expérience des surfaces colorées jointe à l’expérience tactile de leur contour que la reconnaissance visuelle nous est possible. Le travail de Nathalie Junod Ponsard se détourne résolument de l’apparence superficielle, pour nous immerger dans un fond énergétique où il n’est plus question de reconnaissance mais d’une sorte de « renaissance lumineuse ». Elle utilise, pour ce faire, des volumes de lumière purs et complémentaires qui, en inondant la totalité de l’espace, tournent en variant leurs longueurs d’ondes selon des cycles réguliers. Cette immersion contrastée, dont les spectateurs ressentent confusément les effets, stimule les récepteurs d’une perception « non visuelle » récemment découverte. Ces récepteurs, principalement localisés dans la couche ganglionnaire de la rétine secrètent la mélanopsine qui jouerait un rôle dans la mémoire photique du fond coloré. Il s’agit d’une vision tonique d’un fond lumineux dense et stable qui permettrait par contraste l’émergence des formes transitoires. La mise en mouvement des volumes de lumière de Nathalie Junod Ponsard, ne donne pas aux formes la possibilité de se reconstituer à partir d’un fond lumineux. Ainsi dans son installation, les contours et les ombres, pris dans l’épaisseur d’une lumière saturée, se dissolvent dans une iso-luminance. Cette «déréalisation» des formes, au profit d’une perception « non visuelle », plonge le spectateur dans un état paradoxal où la familiarité d’un bien être côtoie une certaine étrangeté due à la perte des repères usuels. C’est dans ce fond féérique et fantomatique que l’œil ne manque pas de s’attacher à cette étroite zone blanche fugitive, correspondant au chevauchement des couleurs complémentaires. L’œil y cherche comme une ouverture entre deux volumes de lumière, comme s’il lui était encore possible de s’y glisser pour saisir au passage une forme de ce halo laiteux. Mais, plongées dans l’incandescence colorée, les formes en fusion deviennent énergie pure, que l’œil absorbe sans réserve avec délice. Dans son épaisseur lumineuse, Nathalie Junod Ponsard révèle à chacun une vision insoupçonnée, mais n’est-ce pas justement le propos de l’art que de dilater la perception du monde ?