Dans un livre récent, Paul Virilio soutient que l’utilisation de la lumière submergente et envahissante, qui historiquement a été instituée pour illuminer et distinguer les éléments spécifiques de l’espace urbain, a paradoxalement rendu floues les caractéristiques distinctives de l’environnement construit.
De même, les spécificités des constructions dans les villes d’aujourd’hui sont ordinairement perdues dans la nuit, tout d’abord par la standardisation et l’application uniforme des lumières architecturales et de celles de l’environnement urbain. C’est dans la lumière de cette « photoneutralisation » nocturne de l’espace urbain, je présume, que chacun peut découvrir la présente intervention architecturale de Nathalie Junod Ponsard pour laquelle, ici, elle a mis en évidence les qualités de cet espace architectural particulier.

Depuis un certain temps maintenant Nathalie Junod Ponsard a travaillé avec la lumière comme médium principal pour ses interventions architecturales. Elle a crée des installations lumières en Inde, sur le Jantar Mantar, à Hong Kong et en France. Son travail recherche l’exploration et la mise en évidence des structures spatiales d’un batiment ou d’un site donné avec la lumière qui, d’une certaine façon, réinvestit esthétiquement ces espaces. Je vais maintenant vous parler de cette intervention architecturale spécifique que vous voyez devant vous.
Un des traits caractéristiques et constitutifs du batiment de l’Alliance Française est l’utilisation du verre qui entoure ce batiment. L’introduction du verre a été une étape significative dans le développement d’une esthétique de la transparence dans l’architecture . Dans un article de 1929, relativement peu connu, « Expérience et dénuement » le critique culturel allemand Walter Benjamin commentait qu’à travers les architectures de verre « chaque chose se pose sous la bannière de la transparence ». L’opacité des murs de briques et de pierres qui empêche tout accès visuel à l’intérieur du batiment a été, apparemment, remplacée par la transparence facile que les murs de verre créent. Quoiqu’il en soit, les façades de verre qui sont devenues si caractéristiques de l’architecture moderne ne sont pas aussi transparentes qu’elles paraissent l’être. La surface du verre possède une relation double avec la lumière. La première est qu’elle devient une surface par ses propres capacités à refléter la lumière qui tombe dessus. La deuxième nous permet d’oublier que c’est une surface car la lumière passe au travers facilement. C’est la grande capacité du verre à refleter qui permet d’absorber.

L’installation de Nathalie a soigneusement transformé les qualités réflectives du verre. Son éclairage nous permet d’oublier, pour un instant du moins, la matérialité de la façade de verre et ainsi nous languissons tranquillement dans les espaces intérieurs qui ont été illuminés. De façon interessante, quand l’installation lumière maintient l’illusion d’absence de verre, les supports métalliques qui les soutiennent ont été transformés en une grille élaborée parodiant une esthétique moderniste. Dans un revers impertinent de fortune le fonctionnel est devenu élément décoratif.

Le défi, tout spécialement dans une ville comme Singapour où il y a si peu d’espaces non construits, est exactement celui de trouver des voies pour réinvestir nos espaces construits avec un champ hétérogènes de possibilités. Dans l’oeuvre présente de Nathalie Junod Ponsard, je reconnais et félicite ce type d’ambition.
(Traduit de l’anglais)

Gunalan NADARAJAN
Critique et théoricien d’art, commissaire d’exposition
Directeur de la Faculté des Arts Plastiques à l’Ecole supérieure des arts Lasalle-Sia de Singapour.